16 - Bertille Isabeau : la culotte en étendard

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Date
5/4/2023
Durée
15mn31

Salut à toi et bienvenue dans ce nouvel épisode, qui inaugure la saison 2 du podcast ! 🥳

Pour cette saison, la ligne éditoriale change un peu, pour se concentrer sur la stratégie de marque et le design. Dans chaque, seule ou avec mes invité·es, on va décrypter une marque ou un concept de stratégie de marque. L’objectif est double : mettre en lumière des marques qui me tiennent à cœur, et démocratiser la stratégie de marque pour que tu puisses toi aussi créer des marques cohérentes, humaines et durables. Aujourd’hui, on part à la découverte de Bertille Isabeau et de sa stratégie de marque engagée pour l’inclusivité et la diversité corporelle.

Bertille Isabeau est une marque de lingerie fondée en 2017 par Bertille Beneteau, dont j’admire beaucoup le parcours, la transparence et l’engagement. Je ne sais pas pour toi, mais perso, je n’ai jamais trouvé mon compte au rayon lingerie. Les formes, les couleurs, les messages renvoyés par les pubs, tout me donnait envie de m’enfuir et de me résigner à porter des culottes DIM, les fameuses, pas ouf sexy mais si confortable. 😆

Le pari de Bertille Isabeau, c’est de bousculer les codes de cette industrie pour créer de la lingerie inclusive, douce pour le corps et l’estime de soi. Elle veut contribuer à libérer les corps, les mentalités, et laisser le soin à toustes de s'approprier son propre corps en se défaisant du regard de l'autre, et du patriarcat.

Dans une industrie aussi normée et codifiée que celle de la mode et de la lingerie, c’est loin d’être évident de bousculer les codes. Le pari de Bertille, c’est une marque de lingerie inclusive, engagée, et écologique. Un peu tout l’inverse des grands noms de l’industrie, quoi.Pourtant, 6 ans après, elle est parvenue à se faire une place dans l’industrie, mais surtout dans le cœur de son audience, dont je fais clairement partie.

La naissance d’une marque humaine et engagée.

Tout commence à New-York en 2017. Styliste modéliste formée à Paris au sein de l’école Mod’Art International, Bertille commence sa carrière dans des grandes enseignes de luxe sur l’avenue Montaigne, et pose ses valises à New-York pour bosser dans la première boutique US de Zadig & Voltaire. L’énergie créatrice qu’elle puise à New-York lui donne envie de créer sa propre marque.Au départ, elle est attirée par les marques de mode dites “masculines” et les silhouettes androgynes. Mais elle se rend compte que les marques qui prennent ce positionnement sont nombreuses et que ce n’est peut-être pas pertinent d’en créer une autre.

En revanche, en lingerie, il y a de quoi faire. Elle n’est pas franchement à l’aise dans ses propres sous-vêtements, et c’est visiblement le cas de beaucoup de personnes autour d’elle. Clairement, ça a longtemps été mon cas aussi avant d’en trouver quelques marques avec lesquelles je me sens bien, et c’est tout un cheminement.

Du coup, en 2017, sa première collection voit le jour à Brooklyn, grâce notamment à Atelier Amelia, des ateliers à taille humaine qui soutiennent les jeunes créateurices et designers de mode. Dès le départ, le manifeste de marque de Bertille est clair et aligné : de la lingerie confortable et sexy à la fois, avec un circuit de fabrication court et des matières douces pour le corps et la planète. La première collection marche plutôt bien et elle est invité à la Fashion Week de Vancouver. Et en parlant de manifeste, c’est d’ailleurs à cette Fashion Week que Bertille Isabeau a l’occasion de mettre en action son manifeste de marque. Au moment de défiler, les équipes de l’événement viennent la voir et proposent aux modèles des talons de 12cm pour défiler. Bertille refuse catégoriquement en disant un truc du genre “Vous portez des talons hauts quand vous êtes en lingerie fine, vous ? Moi, non.” Du coup, à la place de talons, les modèles ont porté des petits chaussons en dentelle confectionnés avec les chutes des pièces de lingerie. Bon, ça peut tout à fait être un kiff de porter des talons en lingerie hein, mais là n’est pas le propos. 😂

Porter son manifeste de marque dans ses actions.

De retour en France depuis 2019, la marque a vraiment pris son envol, et en utilisant une stratégie de marque cohérente, engagée et alignée à tous les niveaux, elle déploie son manifeste et gagne la confiance de son audience.

“Alignée”, c’est un adjectif qu’on entend à tort et à travers en ce moment, mais ce que ça veut réellement dire en stratégie de marque, c’est que “l’essence” de la marque est soutenue à 100% par la “substance” de la marque. Entre d’autres termes un peu moins “jargon”, ça veut dire que le message de la marque et les valeurs qu’elle entend véhiculer, sont réellement traduites en actions au quotidien, et à tous les niveaux. Que ce n’est pas du vent quoi, la substance des actions menées par la marque traduit vraiment son manifeste.

Et à l’heure du Greenwashing et compagnie, on sait que ce n’est pas l’apanage de toutes les marques qui prônent avoir des valeurs inclusives et écolos, mais quand tu grattes un peu la surface, c’est pas si folichon que ça. 👀

Chez Bertille Isabeau, chaque décision est un vote. Et c’est pour ça que j’ai eu envie de t’en parler aujourd’hui. À mes yeux, c’est un des plus beaux exemples actuels d’une marque qui affronte les normes d’un marché pour porter en étendard son manifeste et réellement servir son audience cible. Du coup, mon avis c’est bien joli mais dans les faits, ça donne quoi ?

Dans les faits, niveau fabrication, ça donne :

  • Du jersey de coton bio certifié GOTS (c’est la certification de référence pour les matières textiles), de la dentelle de Calais et de la résille OEKO-TEX, qui est un label reconnu à l’échelle mondial, qui garantit que les matières sont exemptes de produits chimiques.
  • C’est aussi un circuit de production court et raisonné. Toutes les pièces sont confectionnées à l’atelier Masla dans le 18ème à Paris, et en petites quantités. Chaque collection se décline en sept modèles : trois bodies, trois ensembles culottes et brassière / débardeur et un pyjama. Comme elle le dit sur son site : “ne pas surproduire est un choix, avec des modèles indémodables et des matières durables.”
  • Et enfin, toutes les collections sont fabriquées du XS au triple XL, voire même au sur-mesure selon certaines demandes. Certaines pièces sont pensées pour convenir aux personnes enceintes, et on sait qu’il y a du taff à ce niveau-là aussi dans l’industrie. 🙄

Au niveau de la vente et des bénéfices, là aussi la marque fait des choix cohérents :

  • Les emballages pour la livraison sont réutilisables. La marque passe par Hipli, un fabricant francçais d’emballage réutilisable, tu as juste à le renvoyer par la poste gratuitement après réception de ton colis.

Sachant qu’en 2022 et après la pandémie du COVID, le e-commerce c’est actuellement 241 millions de tonnes d’emballages qui ont été créés en abattant 3 milliards d’arbres. Et en plus de cela, 86 millions de tonnes de plastique qui sont utilisés pour les emballages de colis. Dans tout ça, moins de 14% seulement du plastique utilisé est recyclé. Voilà, petite parenthèse verte, mais clairement y a du taff donc ça fait du bien de voir des marques porter leurs valeurs avec des alternatives cohérentes.

  • Et pour ce qui est des bénéfices, chaque année Bertille Isabeau fait participer sa communauté sur Instagram pour choisir une associations parmi une liste d’organismes qui partagent ses valeurs, comme SOS Homophobie, Kœur de rose (qui finance la recherche contre le cancer du sein), Règles Élémentaires, qui se bat pour contre la précarité menstruelle, et en 2022 c’était Act Up, qui lutte contre le sida.

Donc au-delà des valeurs joliment communiquées sur un site, chez Bertille Isabeau ça passe vraiment à l’action, et pour moi c’est ça qui renforce un manifeste de marque et la confiance de l’audience cible.

Une stratégie de communication engagée & tournée vers la communauté

Au-delà de la fabrication et de la vente, ce que j’admire chez Bertille Isabeau, c’est sa stratégie de communication. C’est un pilier fondamental pour une stratégie de marque, et absolument chacun des choix fait est fait pour soutenir le manifeste de marque.

Les modèles sont des personnes soit connues soit anonymes, mais qui partageant tous et toutes un militantisme féministe, queer, sans étiquette, libéré des injonctions à être un certain type de corps, une taille, une ethnie, un âge, un genre assigné, etc. On va par exemple retrouver l’artiste queer non binaire Habibitch ou le journaliste et auteur trans Tal Madesta, etc. Et que ce soit pour les vidéos ou les photos, rien n’est chorégraphié à l’avance, afin de laisser aux modèles la liberté de mouvement de leurs corps qui leur convient le mieux pour exprimer les émotions. Les photos de sont pas non plus retouchées, ce qui est très loin d’être la norme dans ce milieu.

Faire le choix de s’entourer d’artistes engagé·es pour un militantisme féministe, queer et décolonial, c’est à mon sens une des meilleures façon de façonner la crédibilité et l’engagement de la marque. Et au-delà des artistes qui pour certains et certaines ont des plateformes assez conséquentes, il y a des personnes plus anonymes qui participent à l’envolée de la marque et de son message grâce à ce qu’on appelle le “user generated content”.

Littéralement, du contenu créé par les utilisateurices. Il suffit de taper le hashtag “bertilleisabeau” dans Instagram pour découvrir plein de posts hyper touchants sur la façon dont les clients et clientes s’approprient les vêtements. Parmi tous les posts que j’ai regardé pour préparer cet épisode, il y avait notamment Aurélien H-D, artiste photographe queer et non-binaire, qui écrit sous l’un de ses posts : “Merci à Bertille Isabeau pour ses pièces si belles, c’est un plaisir intense de s’en saisir aussi bien qu’une armure fabriquée en amour-propre !”

À l’heure actuelle, le contenu généré par les utilisateurices est une des stratégies de micro-influence les plus efficace, parce qu’elle prouve la confiance qu’a l’audience en la marque.C’est un peu le même principe que quand tu cherches un bon restaurant Japonais. Si tu vois que des personnes elle-mêmes Japonaises fréquentent l’endroit, c’est probablement que la qualité est meilleure et “reconnue” par l’audience cible en fait.

Une image de marque qui fait place aux corps.

Bertille Isabeau, c’est aussi une image de marque qui fait place aux corps.

Les univers des clips vidéo pour présenter les collections ne sont pas non plus anodins.On retrouve des morceaux de musique new wave, d’alternatif Berlinois, etc. L’idée semble vraiment être d’aller piocher dans énormément de références qui prônent individuellement l’avant-gardisme, le fait de s’affranchir des normes, et la pluralité des êtres, tout simplement.Évidemment, je ne pouvais pas terminer cet épisode sans parler de l’identité visuelle, et là aussi, on est sur des choix ultra cohérents. Le positionnement de Bertille Isabeau, c’est de proposer de la lingerie exclusivement noir pour aller avec tout, confortable, humble, et qui invite à trouver sa propre définition du “sexy”. Et à mes yeux, l’identité visuelle soutiens ce positionnement par sa discrétion. On a un logo typographique très simple en lettres sans serif, une gamme typographique élégante et sobre, et pas d’éléments graphiques. Aucune fioriture accessoire, c’est brut, c’est vrai, et surtout, ça fait place aux corps, à tous les corps.

Une vision ancrée dans des valeurs personnelles

La dernière raison pour laquelle cette marque me touche, c’est parce que sa stratégie de marque est aussi ancrée dans les valeurs personnelles de sa fondatrice. Et ça, pour une marque “produit” notamment, ce n’est pas toujours le cas. On va souvent voir un décalage entre les valeurs de la marque, et les valeurs personnelles des personnes qui l’ont créée. Quand c’est aligné, à mes yeux, c’est non seulement plus durable, mais c’est aussi une façon d’amplifier le message et la crédibilité de la marque. Derrière Bertille Isabeau, il y a Bertille Beneteau, une femme engagée, féministe, en couple avec une autre femme, qui a décidé de contribuer à dégommer le patriarcat à sa façon, une culotte en dentelle à la fois. 😄